Olivier Marx et le collectif publient leur texte fondateur.
**LE MANIFESTE **
Penser localement pour agir humainement
"Les personnes qui viennent vivre à la campagne ont un rêve : en quittant la ville, elles connaîtront enfin la paix, elles échapperont à l’Histoire, à la dénaturation des rythmes vitaux, aux fléaux de l’existence, et par-dessus tout à la complexité des rapports humains. Il y a une bonne et une mauvaise nouvelle.
La mauvaise, c’est que les faits viennent vite à bout de cette fiction d’une campagne toute paisible et virginale où il n’y aurait plus aucun combat à mener.
La bonne, c’est que la campagne est aujourd’hui le lieu des réalités dignes d’être défendues. C’est ici, dans notre campagne, que l’histoire se joue. A travers nous et entre nous, à une échelle encore humaine et dont il dépend de nous qu’elle le devienne davantage. Rêver n’empêche pas d’atterrir : redécouvrir ce qui existe, restaurer les liaisons rompues, cultiver ce qui veut vivre, élaborer les moyens concrets de sa croissance. Caché, abîmé, oublié, en sommeil, ou simplement inaperçu, tout est déjà là, à la ronde.
• Nous sommes réalistes : nous prenons acte des réalités de la campagne, de leurs permanences autant que de leurs transformations économiques, sociales et culturelles.
• Nous sommes pragmatiques : alors que les expertises hors-sols pensent globalement pour agir localement, nous pensons localement pour agir humainement.
**• Nous habitons le Haut-Livradois, et en sommes fiers. **Certains appellent cet espace le « rural éloigné ». De quoi est-il si loin ? Méprisées et occultées, tandis que l’uniformité du modèle urbain faisait des ravages, les campagnes ont été en grande partie dépossédées de leurs traditions et de leur biodiversité. Cette situation change radicalement : ruraux et néo-ruraux savent désormais qu’ils ne sont pas à la périphérie des villes. Ce sont les villes qui sont à la périphérie des campagnes : l’instinct de vie suit la vie là où elle se réfugie.
Quelles que soient les difficultés propres à chaque village (désertification, vieillissement, etc.), c’est au sein de ces communautés que se trouvent les possibilités d’une existence réellement humaine, moralement cohérente et matériellement responsable. L’avenir, la dignité et la responsabilité sont du côté de celles et ceux qui cultivent un lopin de terre ; qui gardent la mémoire des savoir-faire et des forces du passé ; qui se consacrent à un artisanat ou à un art, acceptent la variété des modes de vie, fondent des familles, partagent des besoins humains primordiaux, multiplient les liens directs avec leurs semblables et leur environnement proche. Ils entretiennent les points d’eau et les sources nourricières d’un renouveau possible.
• Nous sommes volontaires : il ne s’agit plus de désigner un ennemi extérieur supposé cause du déclin mais de voir en quoi nos conduites y participent. Il ne s’agit pas d’allonger le catalogue des pertes, mais de de reprendre possession de notre liberté d’agir pour le bien commun.
• Enfin, nous sommes des gens ordinaires, capables d’identifier ce qui nous fait défaut et de décider des moyens à mettre en oeuvre pour l’acquérir. Les superstructures et échelles intermédiaires ont leur rôle, les politiques européennes, nationales et territoriales aussi. Toutefois, une certaine passivité peut être induite par le recours systématique à la becquée d’en haut, avec servitudes et inertie qui s’ensuivent. Les habitants d’ici ont toujours développé leur vie singulière en dehors des radars statistiques, en se fondant sur l’économie de subsistance, les échanges directs, l’intelligence artisanale et paysanne, les liaisons nécessaires et puissantes : commerces et relations de voisinage, entraide et amitiés d’une zone de moyenne montagne.
Vivre à la campagne, c’est reconnaître que la créativité individuelle ne s’épanouit qu’à l’intérieur d’une vitalité commune. Vivre à la campagne c’est savoir qu’une collectivité n’a de richesses que des personnes qui la composent et que personne n’est productif seul.
Vivre à la campagne c’est orienter notre vie matérielle et quotidienne vers ce modèle vital. Voici la véritable aventure des temps présents. Elle sera à notre image : nous récolterons ce que nous y aurons semé…
Olivier Marx avec le collectif à la ronde